J'ai bien commencé ma journée en me replongeant dans le discours prononcé par Antoine Riboud, à Marseille, le 25 octobre 1972, aux assises du CNPF (équivalent du MEDEF à l'époque) devant un parterre de 2000 chefs d'entreprises.
Cette manifestation devait favoriser la réflexion et la mobilisation des chefs d'entreprise sur les grands problèmes de société, avec pour thème général "La croissance, l'entreprise et les hommes". Episode qui a bien failli faire scandale. Chargé par les organisateurs d'aborder le problème des nuisances industrielles et les moyens d'y remédier, Antoine Riboud n'a à ce moment là aucune intention de traiter dans le sens prévu le sujet imparti: pour lui, la qualité de la vie ne se réduit pas à la préservation de l'environnement.
"Comment trouver un nouvel équilibre pour éviter l'explosion du modèle libéral?" c'est la problématique qui va guider toute sa réflexion. Le bruit court assez vite sur l'orientation qu'il compte donner à son rapport: on murmure qu'il va défendre des positions opposées à celles du CNPF sur des sujets brûlants. Très inquiets, la veille de l'événement, les organisateurs souhaitent lire l'intégralité du texte d'Antoine Riboud. Ce dernier refuse et menace de faire intervention dans une salle voisine. Il avait déjà assuré ses arrières en distribuant des copies de son discours aux journalistes présents. Le chapitre 2 du livre de Pierre Labasse, "Antoine Riboud, un patron dans la cité" s'intitule "1971 Pionnier du développement durable". Moi, ça me laisse sans voix. Ma journée commence vraiment bien. Extraits choisis:
"La croissance économique, l’économie de marché ont transformé, bouleversé le niveau de vie du monde occidental. C’est indiscutable. Mais le résultat est loin d’être parfait.
D’abord, cette croissance n’était pas porteuse de « justice » ; trop nombreux sont encore ceux qui se trouvent en dessous d’un seuil acceptable de bien être, que ce soit dans le cité ou dans l’entreprise.
Il n’est pas possible d’admettre que la croissance abandonne derrière elle autant de « laissés pour compte » : les vieillards, les inadaptés, les malades et surtout les travailleurs, qui sont nombreux à bénéficier insuffisamment des fruits de la croissance.
Ensuite, cette croissance engendre des nuisances à la fois collectives et individuelles. Elle a souvent sacrifié l’environnement et les conditions de travail à des critères d’efficacité économique. C’est pourquoi elle est contestée, et mieux parfois rejetée comme finalité de l’ère industrielle." Antoine Riboud, discours de Marseille, 1972.
Laurence